Transfert de compétences du pétrole au renouvelable: entretien avec Khaled Kaddour, ancien ministre de l’Énergie de la Tunisie

Les compétences du secteur pétrolier sont-elles transférables aux énergies renouvelables ? Face à l’accélération de la transition énergétique, cette question préoccupe les professionnels de l’énergie. Pour y répondre, nous avons rencontré Khaled Kaddour, ancien dirigeant de grandes entreprises pétrolières et gazières, puis ministre de l’Énergie de la Tunisie. Au fil de ses expériences dans le privé et le public, il est devenu un ambassadeur des énergies vertes.

Comment êtes-vous passé des énergies fossiles aux énergies renouvelables?

Khaled Kaddour : Je suis passé aux énergies renouvelables lorsque j’ai préparé mon doctorat sur les études stratégiques en 2005, après 20 ans à travailler dans le secteur pétrolier. C’est un domaine qui m’a permis de voir plus large sur le secteur énergétique, à la fois en regardant au-delà du pétrole, et en étendant mes connaissances de la Tunisie à l’international. J’ai pu mieux appréhender les défis du secteur de l’énergie au niveau mondial, sur le plan de l’environnement et de l’économie. Il est devenu essentiel pour moi de réfléchir aux possibilités qui s’offraient à nous pour changer la situation. Les énergies renouvelables sont un levier de développement à l’échelle d’un territoire. C’est avec cette vision que j’ai proposé, en 2019, un projet de développement intégré du désert tunisien autour d’un site pétrolier. Ce projet intégrait le déploiement d’énergie solaire, mais également le développement de l’agriculture autour du site ainsi que des infrastructures de réseau et de transport. Cela m’a permis de démontrer par l’exemple que les énergies renouvelables pouvaient être un moteur de développement d’un territoire.

Ce passage d’un monde à l’autre est-il possible pour l’ensemble des professions du secteur pétrolier?

KhK : La plupart des compétences peuvent être converties d’un secteur à l’autre. L’industrie pétrolière est composée d’une grande diversité de professions, de la conception à l’exploitation, en passant par la finance et la gestion, qui ont aussi des applications dans le solaire ou l’éolien. C’est le cas des ingénieurs d’études, des responsables juridiques ou financiers, des ingénieurs et techniciens électriques, des logisticiens… Ces profils sont communs à l’ensemble des projets énergétiques, qu’il s’agisse d’une exploitation pétrolière, ou d’un champ éolien offshore. Les grands groupes qui s’engagent sur le renouvelable n’ont donc pas besoin de recruter de nouveaux talents sur ces expertises : elles disposent déjà de ces compétences historiques. C’est d’ailleurs du pétrole que viennent la plupart des technologies de pointe utilisées dans l’ensemble du secteur énergétique, qu’il s’agisse des outils numériques, ou des matériaux haute-performance. Et c’est ce qui a permis à de grands groupes pétroliers comme Total, ENI, ou Shell, de devenir en une décennie des entreprises de l’énergie au sens large.

Qu’en est-il des professions spécialisées dans le forage, très spécifique au secteur pétrolier? Auront-elles du mal à trouver leur place dans la transition énergétique?

KhK : Le forage reste une opération impliquant des techniciens, des ingénieurs, des opérateurs dans différentes spécialités … qui ont leur place dans d’autres projets énergétiques. Seuls les profils axés sur la conception des puits, leur exploitation et le contrôle de leur intégrité sont moins propices au transfert vers le renouvelable. Mais ces postes sont souvent des emplois très qualifiés, tenus par des techniciens ou des ingénieurs qui ont une bonne capacité à être formés rapidement et à s’adapter, pour pouvoir valoriser leurs compétences sur des projets d’énergies renouvelables. De plus en plus d’entreprises mettent ainsi des programmes de formation en interne pour donner à leurs collaborateurs des perspectives multisectorielles. Mais il faut surtout comprendre que le pétrole va demeurer une ressource énergétique d’ici 2050. Les compétences liées au forage vont donc continuer à être indispensables dans les 30 prochaines années.

Pensez-vous que le pétrole ait encore un avenir sur plusieurs décennies malgré les pressions exercées pour accélérer la transition énergétique?

KhK : Le défi de l’industrie pétrolière est aujourd’hui de trouver un équilibre entre impératifs écologiques et injonctions économiques. Le monde ne peut pas se passer du pétrole du jour au lendemain. Beaucoup de pays, notamment du Sud, ont des infrastructures qui reposent dessus, et le coût des autres énergies est encore trop élevé pour remplacer le pétrole immédiatement. Même si le coût de l’énergie solaire a baissé de près de 80 %, cette énergie reste encore intermittente, et nous n’avons toujours pas de solutions pérennes pour le stockage. Il faudra donc continuer d’exploiter les gisements actuels de pétrole et de gaz, ce qui demandera des compétences spécialisées dans ce domaine. Au-delà du remplacement des énergies fossiles, la transition énergétique passe aussi par la réduction de l’empreinte carbone du secteur pétrolier et gazier.

Comment voyez-vous l’avenir des énergies renouvelables?

KhK : Les projets d’énergies vertes doivent répondre aux nouvelles questions qui se posent sur leur conception. Les industriels sont encore en phase de découverte et tous les problèmes ne sont pas résolus. Par exemple, on sait très bien forer des puits de pétrole dans le désert, mais on sait moins bien y implanter un champ de panneaux solaires ou d’éoliennes. Au niveau de la conception, les projets demandent de nouvelles formes d’optimisation. Et ce sont des projets qui ont des implications politiques sur le plan de la gouvernance, ce qui est aussi à prendre en compte. Les énergies renouvelables sont un moteur de souveraineté énergétique pour la plupart des pays qui n’ont tout simplement pas les ressources fossiles suffisantes pour être indépendants en matière d’énergie. C’est pour cela que les énergies vertes sont avant tout une opportunité qu’il faudra savoir saisir dans les années à venir.

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Biographie de Khaled Kaddour

Ingénieur en production d’hydrocarbures, Khaled Kaddour est titulaire d’un Master en gestion des entreprises pétrolières de HEC Montréal depuis 1988 et Docteur en prospective et stratégie des organisations aux Arts et Métiers de Paris depuis 2005. Il a consacré une partie de sa carrière à l’enseignement, en tant qu’auditeur auprès des décideurs de l’Union européenne, à Milan, à Washington et à l’ENA à Tunis jusqu’en 2008.

En 2008, il est nommé PDG de la SITEP (Société italo-tunisienne d’exploitation pétrolière), puis Vice-président chez ENI (Milan (2012), Dubaï et Bassorah (2014)) et conseiller auprès de la Direction Générale (Alger, 2016). En 2011, il entame sa carrière politique et devient directeur général de l’énergie au ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie de Tunisie.

En septembre 2017, il est nommé ministre de l’Énergie, des Mines et des Énergies renouvelables, dans le gouvernement de l’unité nationale en Tunisie. Depuis, il propose son expertise auprès d’entreprises de renom et d’administrations en tant que Consultant en Stratégie et Energie.

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